Jacques Hippeau

Jacques Hippeau vu par Francis Vladimir

Il n’y a pas de mystère, il y a du travail et encore du travail. S’il fallait créer à partir du mystère il ne me resterait qu’à remiser mes pinceaux. S’il y a mystère, il est celui de la matière, des couleurs qu’on mélange mais même ça ce n’est pas suffisant. Le mystère c’est ce qui est à côté de nous qui d’une certaine manière nous accompagne dans l’activité qui est la nôtre.

Pour moi, qui suis peintre, le mystère, c’est ce qui me happe malgré moi, au moment où je m’y attends le moins. Voyez-vous, c’est ce qui m’a fait reconnaître un dernier matin alors que je prenais le temps de regarder la banlieue parisienne, c’est ce qui m’a fait reconnaître une lumière à la Monet. Ne serait-ce donc pas, en effet, la reconnaissance de ce qui me fait vibrer, me porte plus loin que ce que je suis en train de peindre, qui m’interroge sur l’envers et l’au-delà de toute chose.

Si mystère il y a, il est à chercher dans la faculté qu’a le regard de capter la lumière et les formes, de faire émerger le visible qui se pose dans le tableau, de faire apparaitre la genèse du monde. Tout peut-être n’est qu’un songe.


A propos de mystère je n’en connais qu’un seul qui puisse jamais irriter un peintre, celui qui fait reprendre les couleurs jour après jour, à une heure précise, saison après saison. Peindre !

Est-ce si différent d’un peintre à l’autre ?

Avec moi cela était simple. Car je peins comme je respire. Tout en moi peignait sans cesse. Mes mains même au repos, portaient encore l’odeur de la pâte et l’esquisse du tableau commencé la veille. A les observer de près on aurait pu dire que dans leur silence elles continuaient à s’échiner sur la toile, ce temps consacré à vider sa tête des précédentes œuvres et à penser à la nouvelle, là, tout de suite, celle qui attend sur le chevalet ou ce qui en fait office.

Les mains vaquent à leur occupation, un rien mécaniques, cherchant les tubes de couleur, décroûtant la palette de buis bosselée des couleurs durcies de la semaine précédente. Des mains qui hument l’atmosphère de l’atelier, sensibles aux précédentes toiles déposées les unes contre les autres face au mur comme une punition infligée à l’écolier qui n’aurait point appris sa leçon.


La nouvelle toile répond-elle à l’interrogation des précédentes ? J’en gardais toujours un peu sous le pinceau pour chacune d’entre elles. Ce n’était jamais facile de quitter définitivement un tableau. Je ne savais jamais tout à fait dire « le tableau est fini ».

Je quittais le dernier pour le suivant, en sachant que le nouveau m’aiderait à avancer dans la rigueur du travail. La toile restait dans l’atelier, visible, changeant de place au gré de la luminosité, recevant de temps à autre un ajout de couleur juste de quoi se donner l’impression qu’on approche de ce moment fatidique et espéré où le travail sera clos.

On entend le silence de l’atelier, la respiration lentement relâchée du peintre absorbé par un bout de forme, une dernière couleur qu’on scrute, une lumière qu’on capte et de temps à autre un soupir où vient se lover l’inquiétude de l’artiste. De la verrière descendent les larges rais de lumière qui viennent s’écraser sur le sol dallé de terre cuite.

Le peintre est absorbé par le dernier tableau qu’il lui faut abandonner pour passer à autre chose dont à l’instant il ne sait rien de précis juste peut-être qu’il va s’adonner aux sports, c'est-à-dire représenter le monde des sportifs. C’est une nouveauté dans mon œuvre où les paysages tiennent une large place dans ce midi inondé de lumière.

C’est ma nature profonde que d’être attiré par les activités liées au terroir de l’Aude. J’ai choisi et mêlé des thèmes solides, les paysages du Carcassès, du Razès, des Corbières, du Lauragais ou du Minervois, les travaux des champs avec leurs moissons et leurs tracteurs, le Carnaval de Limoux avec ses fécos, la musique avec ses bals populaires du 14 juillet, le sport avec le rugby et le vélo, la Méditerranée à Collioure et toujours les portraits de mes proches, des amis, des connaissances dans un cadre intimiste.